Quand je serai vieille, je m’habillerai de mauve,
Je mettrai un chapeau rouge qui jure avec ma robe,
Je dépenserai ma pension en cognac et en gants de dentelle
En sandales de satin et je dirai que nous n’avons pas les moyens d’acheter du beurre
Je m’assoirai sur le trottoir quand je serai fatiguée
Je tirerai les sonnettes d’alarme
Je ferai courir ma canne sur les barreaux des clôtures
Je rattraperai le temps perdu quand j’étais jeune et sérieuse
Je sortirai en pantoufles sous la pluie
Je cueillerai des fleurs dans les jardins des autres
J’apprendrai à cracher très loin
Mais peut-être devrais-je m’exercer un peu avant
Afin que mes amis ne soient pas surpris et choqués
Quand tout à coup je serai vieille et que je m’habillerai de mauve
Jenny Joseph 1961, repris en 1974 dans son recueil « Rose in the afternoon ».
La question est "à quel moment devient-on vieille"? Dès qu'on est blasé de tout, lorsqu'on devient trop fatigué pour se battre, quand on n'a plus envie, quand, comme le dit Brassens, on se moque pas mal du regard oblique des passants honnêtes? Lorsqu'il n'y a plus assez de place sur le gâteau pour poser toutes les bougies, lorsque vous êtes la seule dans un groupe qu'on appelle Madame, ou lorsqu'un matin, en vous regardant dans le miroir, vous apercevez cette petite ride verticale juste au dessus de votre lèvre? Oui, oui, celle-là même qui a creusé son sillon pendant la nuit et qui vous rappelle, au cas où vous l'auriez oublié, que vous vous dirigez irrémédiablement vers la date de péremption, que l'obsolescence programmée ne concerne pas uniquement votre lave-vaisselle.